Texte
de Dutch Mantell, traduit par Anne
Mark Calaway
portait le pseudonyme de « The Master of Pain » lorsque
je l’ai rencontré pour la première fois à
Memphis, à la fin des années 1980. Avant cela, il avait
travaillé sous un masque, au Texas, avec pour nom de ring «
The Punisher ». Je lui ai demandé en blaguant qui il
punissait : son adversaire ou les fans ? Mark, au premier abord, n’a
ni compris ni apprécié mon sens de l’humour, mais
il a fini par s’y faire avec le temps.
Quand Mark est arrivé
à Memphis, en 1989, c’était la fin des glorieuses
années du « territoire ». Ce n’était
pas à cause d’une mauvaise gestion, d’un mauvais
« booking » ou d’un manque de talent. Memphis n’était
pas le seul territoire à souffrir. Tous appartenaient désormais
à un seul homme, Vince McMahon. Vince avait déjà
passé plusieurs années à travailler sur l’expansion
de sa WWF ‘World Wrestling Federation) en compagnie nationale.
Le système des territoires ne marchait plus, car toutes les
meilleures stars étaient attirées par les contrats lucratifs
de Vince, laissant de gros trous dans le roster des compagnies qui
ne pouvaient compter que sur des talents secondaires, ou des talents
qui, en toute franchise, n’étaient tout simplement pas
prêts. C’était difficile de remplacer des vedettes
comme Junk Yard Dog en Louisiane, Dusty Rhodes en Floride, Kerry von
Erich au Texas, Jimmy Hart à Memphis, ou Ted Dibiase au sud-centre
des Etats-Unis. Vince les prenaient les uns après les autres,
et personne ne pouvait les blâmer, pas même les promoteurs
qu’ils abandonnaient à l’autel. Tout le monde savait
que le catch était un travail où on ne pouvait vraiment
gagner de l’argent que pendant une courte période.
Mais la vraie cause de
la mort du système était due au fait que Vince s’était
approprié les horaires de télévision que les
territoires avaient utilisés pendant des années. A présent,
grâce à Vince, les territoires n’avaient plus aucune
présence locale, et dans la plupart des cas, une compagnie
de catch mourrait dix minutes après avoir perdu sa diffusion
habituelle. Vince commençait aussi à payer les stations
de télé locales pour diffuser son émission WWF
comme de l’infopublicité. Pour faire court, Vince McMahon
dépensait de l’argent pour en gagner.
Quand j’ai connu
Mark, au départ, c’était l’opposé
complet de ce qu’il est aujourd’hui. Il avait les cheveux
courts et pas de tatouages. A mes yeux, il avait presque l’air
trop propre sur lui pour être catcheur. Aujourd’hui, c’est
une publicité pour tatouages ambulante. Il s’est révélé
être un type très bien, et pour un homme de sa taille,
ses mouvements étaient incroyablement fluides.
Au premier regard, Mark
avait d’emblée toutes les conditions physiques requises
pour réussir dans le business. Il avait la taille, la tête,
et le talent nécessaire pour devenir une vedette monumentale.
La prochaine étape à franchir devait déterminer
s’il avait le tempérament nécessaire pour réussir.
Durant les mois qui ont suivi, j’ai appris à bien connaître
le tempérament de Mark Calaway, et il a passé le test
haut la main.
Mark a été
entraîné, quelque peu dangereusement, par Buzz Sawyer
dans les environs de Dallas en 1987/88, mais d’après
Mark, Buzz n’a jamais été assez présent
pour qu’on puisse vraiment parler d’entraînement.
Quand Mark est arrivé à Memphis, lui et moi avons voyagé
ensemble tous les jours, et nos discussions sur la route en rentrant
des shows lui procuraient un entraînement sûrement plus
efficace que tout ce qu’il aurait pu obtenir de Buzz. Mark avaient
payé Buzz pour le former et je faisais le principal sans toucher
un centime. A la demande de Mark, je regardais son match chaque soir,
et sur la route de retour, je le disséquais mouvement par mouvement
pour lui dire ce qui allais et ce qui n’allait pas. Les matches
de Mark avaient, dès le départ, une base très
solide. Il n’avait besoin que qu’un petit quelque chose,
une petite étincelle pour devenir vraiment meilleur.
C’est en critiquant
Mark que je me suis rendu compte, un soir, que la boucle était
bouclée pour moi. J’avais appris les ressors du business
exactement de la même façon, à mes débuts.
Pour un débutant, accompagner les vétérans lors
des longs voyages retour après les shows était la meilleure
école qui fut. La nuit paraissait courte quand le vétéran
commentait ma performance du soir même. Je ne peux pas dire
assez à quel point ces discussions m’ont aidé.
C’était une critique et une correction instantanée.
Mark a eu le mérite d’écouter, d’apprendre,
et en a profité pour parfaire sa connaissance du catch, ce
qui doit probablement lui servir encore à l’heure actuelle.
Le secret pour apprendre
le catch, c’est de prendre les bonnes habitudes dès le
début de sa carrière. Si on ne corrige pas les erreurs
immédiatement, elles deviennent très difficiles à
déloger. Avant que Vince ne tue le business qui lui avait servi
de centre d’entraînement gratuits, la WWF avait une ressource
stable de candidats pour son roster. Sans territoire, Vince s’est
soudain rendu compte qu’il avait tué sa poule aux œufs
d’or, et s’est empressé de créer des ligues
dédiées à l’entraînement de ses futures
stars.
Mark et moi ne le savions
pas, mais chaque voyage que nous faisions équivalait à
une classe d’entraînement, en plus amusant. On pouvait
boire aussi. Si j’avais su ce qu’il se passait vraiment
dans le business, j’aurais été personnellement
voire Vince pour lui proposer l’idée des ligues. C’était
ce que je faisais avec Mark, mais sans échange d’argent.
Les affaires n’allaient
pas fort à Memphis, comme partout dans le pays en 1989. Les
fans ne s’intéressaient pas à Memphis, mais à
la WWF et la WCW. Il ne restait que quelques territoires, comme Texas
et Continental, mais ils devaient lutter rien que pour payer leurs
factures et ce n’était plus qu’une question de
temps avant qu’ils ne fassent faillite. Même Stevie Wonder
savait que c’était une bataille perdue d’avance.
Dans les faits, Mark est
arrivé juste à temps pour apprendre le métier
avant que les territoires ne s’effondrent comme un château
de cartes. Si Mark n’était pas venu à Memphis
quand il l’a fait, il y aurait eu une possibilité pour
que l’Undertaker tel que nous le connaissons n’ait jamais
existé. Dans le catch, c’est une histoire de timing :
il faut se trouver au bon endroit, au bon moment. Avec les petites
promotions territoriales qui mouraient rapidement, la WWF et la WCW
étaient devenus les seules options viables si un catcheur voulait
gagner de l’argent. Mais un débutant sans expérience
n’avait aucune chance de se faire embaucher.
Alors qu’on bavardait
pendant un voyage, Mark m’a demandé si je pensais qu’il
avait des chances de rentrer dans une des deux fédérations.
Je lui ai dit qu’il pouvait choisir l’une ou l’autre,
mais qu’il aurait peut-être plus de chance avec la WCW.
Je savais qu’il voulait que je dise l’autre, mais Mark
n’était pas prêt pour la WWF. Pourquoi ? Parce
que je savais qu’il y avait trop d’égos à
l’époque à la WWF, et que s’il se retrouvait
projeté dans cet environnement, il risquait d’y sombrer.
Mark naviguerait plus facilement à travers les politiques de
la WCW que dans celles de la WWF. Quand je lui ai expliqué
les raisons qui me mettaient en faveur de la WCW, il n’a rien
dit, mais je voyais qu’il retournait la question dans sa tête.
Quelques jours plus tard,
à la sortie d’un show, il m’a posé une question
: il voulait savoir si je pouvais l’aider à le faire
entrer dans la WCW. Au moins, il suivait le conseil que je lui avais
donné. J’ai répondu en lui disant que je passerais
quelques coups de fil en sa faveur le lendemain, mais que je ne pouvais
faire que des suggestions. Il m’a remercié pour mon aide
en disant qu’il ne voulait pas paraître ingrat. Il m’a
aussi remercié pour tout ce que j’avais fait pour lui,
et ça m’a fait chaud au cœur. Je lui ai dit que
la volonté de faire avancer sa carrière ne pouvait en
aucune façon relever de l’ingratitude.
Plongé dans mes
souvenirs, je me suis rappelé de ce que les vétérans
m’avaient dit, quand j’avais été à
la place de Mark: si je voulais monter en grade, je n’avais
qu’à les prévenir, ils passeraient un coup de
fil et je serais embauché au Texas, en Californie ou en Floride
dans les deux semaines qui suivaient.
La première fois
qu’on m’a dit ça, j’ai cru que c’était
une blague. Un business ne marche pas comme ça, j’ai
pensé. C’était impossible de changer de coin et
de trouver du boulot aussi facilement. Mais dans le milieu du catch,
c’était possible. Un mot d’un vétéran
en votre faveur, et, s’il y avait de la place, vous étiez
pris. Pour moi, c’était la plus belle chose que j’aie
jamais entendue. Cela voulait dire que je n’étais pas
enchaîné à un boulot que j’aurais sûrement
détesté. C’est là que j’ai compris
que les catcheurs étaient en fait des nomades. Nous vivions
une existence de nomades et, par certains aspects, nous étions
tous des travailleurs saisonniers qui migraient vers le sud en hiver,
et vers le nord en été si cela nous permettait de gagner
plus d’argent, et nous ne devions travailler que quinze minutes
par nuit. Nous étions des voyageurs, arpentant sans cesse les
routes, et nous en savourions chaque instant. Cela me procurait une
sensation de complète liberté, et j’adorais ça.
C’est triste à dire, mais cette liberté-là
n’existe plus de nos jours. Pour un jeune homme qui n’avait
pas à s’occuper d’une famille, ce mode de vie était
parfait.
A l’époque
où j’ai commencé, les endroits où travailler
ne manquaient pas. En fait, quand j’ai percé, il y avait
une trentaine de compagnies différentes prêtes à
vous recruter, et même en ne restant qu’une année
dans chaque territoire, vous n’auriez pas pu en faire le tour
: vous seriez parti à la retraite avant. Quand j’ai commencé,
il y avait une possibilité de carrière. Malheureusement,
quand la génération de Mark est arrivée, vous
pouviez oublier la carrière et espérer avoir de la chance.
La probabilité de sortir un triple 6 du premier coup était
meilleure que celle de percer dans le milieu du catch. Un vrai pari.
De la trentaine de possibilités
du début des années 1970, on est passé à
deux ou trois au début des années 1990. Le système
était fichu. Le choix se résumait à WWF et WCW.
C’était triste mais c’était la réalité.
Je pourrais continuer pendant des heures à évoquer la
liberté de mes débuts, qui s’était transformée
en une chaîne pesante se resserrant autour du cou de chaque
catcheur.
Anne
